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Harper Lee.

Que dire de plus ? Quoi dire d’autre ?

Contextualisons le phénomène d’édition qu’est ce troublant roman Va et poste une sentinelle.

Premièrement, ce roman est une suite. Le premier ouvrage de l’auteure, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, est un roman d’apprentissage publié en 1960 qui nous raconte une partie de l’enfance de Scout, jeune fille habitant dans l’Alabama, état sudiste raciste de l’Amérique profonde. A travers les yeux de Scout, l’on nous raconte le procès d’un jeune noir accusé d’avoir violé et battu une jeune femme blanche. Le père de Scout, avocat, est commis d’office à la défense de l’accusé. Bref…
Ce premier (et très longtemps unique) roman est devenu rapidement un classique.  Histoire culte, prix Pulitzer 1961, pilier de la littérature américaine, pilier de la littérature tout court, une réussite grandiose. En sera tiré un film récompensé par de nombreux oscars (Du silence et des ombres, une merveille également). Pour tous et toutes qui ne l’ont pas encore lu, précipitez-vous chez votre libraire préféré.

Deuxièmement, ce roman a été écrit AVANT son prédécesseur. Harper Lee décida, à l’époque, de ne pas proposer ce manuscrit après le succès immédiat de l’autre et alors même qu’elle avait déclaré travailler à un nouveau livre. Les raisons en sont encore un peu floues, tout comme celles qui l’ont finalement amenées à la publication. La théorie la plus plausible reste celle d’une certaine pudeur de la part de l’auteure car son roman est abondamment inspiré de sa propre vie. Sans aller jusqu’à l’autobiographie, de nombreuses situations rappellent la situation familiale des Lee, son père était un avocat qui eut à défendre des hommes noirs accusés de meurtre, elle a eu un frère de quatre ans son ainé et une gouvernante noire, tout comme son héroïne, et le procès relaté dans le roman fait écho à de nombreux événements qui eurent lieu pendant la jeunesse de Harper Lee.

Troisièmement, ce roman est attendu depuis plus de CINQUANTE ANS. Essayons d’imaginer un peu, à l’époque de la sortie de son premier roman en 1960, Harper Lee était une jeune femme de 34 ans. Elle connait alors rapidement une certaine notoriété internationale grâce au succès, aux traductions et au film qui en est tiré. Secrétaire plus ou moins officielle de Truman Capote, dont elle était une amie d’enfance et qui a également inspiré un des enfants présents dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, on peut supposer qu’elle avait désormais un pied bien engagé dans le monde de la littérature. La promesse d’une belle carrière sera tuée dans l’œuf par l’auteure elle-même qui ne publiera aucun autre roman par la suite, jusqu’à 2015.

Pour toutes ces raisons, ce roman mérite déjà amplement que l’on s’y attarde. Voyons maintenant le cœur, l’histoire, l’intrigue, la substantifique moelle.

Vingt ans après les tragiques événements retranscrits dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (non mais sérieusement, courez l’acheter !) Jean Louise « Scout » Finch, héroïne du premier opus, retourne dans son Alabama natale après quelques années passées à New-York. L’Amérique est en plein bouillonnement politique et les tensions d’avant-guerre ressurgissent tant ses racines sont profondes dans les régions sudistes. Scout retrouve sa famille, père, tante et oncle, son amant et ami d’enfance, mis aussi toutes les choses qu’elle avait fuit en partant à l’autre bout du pays. Une fois de plus, Jean Louise va confronter ses idéaux d’égalité, de droits et de justice à ceux de « sa » ville. Par ce douloureux retour au pays, elle va se rendre compte à quel point son regard désormais adulte ne peut plus lui permettre de faire l’impasse sur la couche bourbeuse des préjugés centenaires présentes sur tout ce qui l’entoure, même dans son propre foyer.
Car voici venir la révolution, que dis-je, l’Attentat Littéraire. Atticus Finch, le Père, l’avocat défenseur des droits des noirs, l’homme pétrit d’humanisme et de respect, le protagoniste ayant certainement le plus permis la reconnaissance de Ne tirez pas… comme un livre d’anthologie, aujourd’hui l’un des plus étudiés dans les écoles américaines, cet homme-là n’est plus qu’un doux vieillard, aux os malades, et siégeant dans des conseils citoyens de sauvegarde de la race blanche. Lorsque la voie s’effondre, à quoi peut-on s’accrocher ?

Ce livre n’est pas un grand roman. Ce n’est pas une révélation. C’est tout simplement un coup-de-pied au cul de rappel monstrueux à l’Amérique. Un héritage qui arrive cinquante ans après le succès de son légataire, et qui semble nous dire :  » N’ignorez pas ce que vous pouvez seulement ne pas voir « .
Ce n’est pas vraiment une suite. Ce n’est pas une autre histoire. C’est la conclusion inévitable de son illustre ancêtre. Un roman écrit il y a près de soixante ans mais toujours d’une effroyable actualité.


 

Va et poste une sentinelle, Harper Lee, Éditions Grasset, 20.90€

Valmon